Absinthe (1876)
Les deux personnages de la photo ne sont pas des buveurs anonymes, mais des amis de Manet et Degas, et avaient accepté de poser pour Degas. Il s’agissait de Marcellin Desboutin et Ellen Andree (1857-1925), cette dernière actrice bien connue à son époque qui ne bronchait pas de ce nouveau rôle qui l’obligeait à devenir laide avec une expression stupide et fatiguée et à porter des bottes maladroites et un manteau et une jupe effilochés. En fait, elle a été un modèle populaire pour Renoir (1841-1919) et Degas pendant les années 1870, apparaissant dans de nombreuses œuvres, y compris Le Déjeuner de la fête nautique (1881, Collection Phillips). À côté d’elle apparaît un homme aux cheveux noirs (Desboutin), les traits brutalisés par l’alcool.
La présence à Paris du graveur, de retour de Florence, et la forme du chapeau de l’actrice, permettent d’établir la date de ce tableau comme 1876. Il rappelle irrésistiblement l’atmosphère de L’Assommoir de Zola paru en 1877 et on peut l’imaginer inspiré de ce roman.
Là encore, la configuration est désalignée. Les figures ne font pas face au spectateur mais sont placées le long d’une ligne oblique montante. Ils sont séparés du spectateur par un rempart de tables de café en marbre blanc remplissant tout le premier plan et se coupant les uns sur les autres à angle droit. Quelques objets y ont été posés, deux journaux enroulés, une boîte d’allumettes, une carafe et un verre d’absinthe.
De la même manière que Toulouse-Lautrec (1864-1901) a été dessiné pour peindre les gens qui se produisaient et se mêlaient dans les boîtes de nuit et les théâtres parisiens, Degas était fasciné par les femmes de la classe inférieure: par la façon dont ils vivaient et se comportaient les uns envers les autres dans leur propre milieu social. L’absinthe en est un parfait exemple. Pour plus d’exemples, voir des œuvres comme: Une Femme qui repasse (1873, Metropolitan Museum), Des Blanchisseuses transportant du linge en Ville (1878, Collection Privée), Les Petites Modistes (1882, Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas City, Missouri), Des Femmes qui Repassent (1884, Musée d’Orsay) et Une Femme qui Se Coiffe les cheveux. D’autres œuvres remarquables incluent: Les chevaux de course devant les Stands (1866-8), les portraits controversés à la Bourse (1879) et son portrait de famille classique intitulé La Famille Bellelli (1858-67).
La manière dont la géométrie légèrement fluide des tables maintient la femme en place, l’une d’elles la pinçant sur le ventre, a plus qu’un grain de vérité observé à ce sujet. Mais l’image a aussi une dimension psychologique puissante. Les deux protagonistes sont clairement sur la ville ensemble, mais aucun d’eux ne fait attention à l’autre. Ils sont tous les deux perdus dans leur monde privé. Elle a un air retombant et égocentrique autour d’elle, alors qu’il se penche en avant et regarde loin, plutôt vacant. Il y a un air général d’isolement et de désolation. Le nom de l’image est fortement souligné par l’ambiance chromatique omniprésente dans laquelle différents noirs sont campés sur des blancs crémeux, des jaunes pâles et des verts translucides dans une extension de couleur légèrement délirante, peut-être, de la boisson dont le tableau tire son titre. En effet, l’œuvre peut être comprise comme une représentation des problèmes d’engourdissement de l’esprit associés à l’absinthe, une liqueur nocive qui a ensuite été interdite.
Comme à son habitude, Degas a positionné les composants séparés de cette image fascinante avec la plus grande précision. Nous sommes constamment obligés de regarder au-delà, à travers et au-delà des choses, de déplacer notre attention en arrière et en avant entre l’espace réel et l’espace réfléchi. Cette agitation induite contraste avec et renforce en même temps l’intériorité statique de la femme.
Notez également comment Degas a cadré le tableau – coupant la pipe et la main de l’homme – donnant l’impression d’un cliché pris par un spectateur à une table voisine. Mais cette notion est trompeuse car, le tableau a été méticuleusement assemblé en studio, pas dans la Nouvelle Athènes. Cependant, le tableau avait un air si réaliste qu’il jetait une insulte à la réputation de Marcellin Desboutin et d’Ellen Andree. Cela obligea Degas à déclarer publiquement qu’ils n’étaient pas alcooliques.
L’absinthe (initialement intitulée Dans un café) a été présentée pour la première fois lors de la Deuxième exposition impressionniste (1876), tenue à la galerie de l’éminent marchand d’art Paul Durand-Ruel (1831-1922) au 11 rue Le Peletier. C’était l’une des 24 œuvres montrées par Degas, et peut-être sans surprise, les critiques d’art l’ont détesté. En 1893, il a été montré à nouveau en Angleterre, où il a été critiqué comme un affront à la morale. En mai 1893, l’œuvre (aujourd’hui connue sous le nom de L’Apéritif) est achetée pour 21 000 francs par le comte Isaac de Camondo, qui la lègue au Louvre en 1908. Elle s’appelle maintenant simplement L’Absinthe.
REMARQUE: Pour l’histoire derrière « Impressionnisme » et le groupe de peintres français derrière, veuillez consulter notre série en 10 parties, début: Impressionnisme: Origines, Influences.
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